Un entrepreneur fait face à la prise de décisions qui peuvent tout changer. Parmi elles, trouver son ou ses associé(s), et parfois derrière il peut s'agit d'un ami. Est-ce toujours un pari raisonnable ? Pour traiter ce sujet, on a traversé le couloir pour poser nos questions à Maxime Houver et Adrien Meyer de Pass Intérim et Antoine Artillan d'Active, deux startups incubées à Quai Alpha.
Créer une entreprise n’est déjà pas une mince affaire lorsqu’il s’agit de s’en occuper soi-même. Alors diviser la « charge » et les responsabilités par deux en faisant le choix de la co-créer avec quelqu’un d’autre semble être une bonne idée. Cependant, ce calcul peut parfois se transformer en multiplication compte tenu des critères à prendre en compte par les deux (ou plus) partis, ainsi que la multiplicité des points de vue et décisions à prendre.
Alors est-ce que ça vaut vraiment le coup de tenter de monter un projet entrepreneurial avec un ou plusieurs ami(s) ? On va développer ensemble quelques éléments de réponse.
Quand le pro et perso s'entremêlent
Se lancer dans la création d’une entreprise avec une ou plusieurs personnes proches, que ce soit par amitié ou même filiation, c’est un peu comme se mettre en collocation ou même se marier : c’est devoir faire les choses à deux, prendre des décisions, partager les tâches, et se disputer quand on n’y arrive pas.
C’est aussi apprendre à faire des compromis, se soutenir l’un l’autre et défier l’adversité ensemble plutôt que seul. Comme une relation personnelle, une relation professionnelle comporte tout un tas de parallèles, ainsi que leur face cachée.
Par exemple, créer une entreprise avec un ami semble être le choix évident lorsque l’on a une idée en commun ou pense la même chose à propos d’un sujet. C’est généralement une personne que l’on apprécie et avec qui il semble naturel de passer du temps, de converser et voire même de travailler. Cependant, la plupart des relations amicales sont détachées du cadre professionnel, et là où votre ami prodigue peut-être d’excellents conseils autour d’un verre, il en donne peut-être des beaucoup moins bons lorsqu’il s’agit d’entrepreneuriat, et que les différentes responsabilités et pressions qui se présentent peuvent faire de lui une personne totalement différente de celle que vous avez l’habitude de côtoyer.
Pourtant l’un des points forts de ce genre de décision, c’est que pour ne pas abîmer une relation de plus ou moins longue durée, les différents partis sauront trouver une entente et un compromis afin d’avancer et d’éviter des troubles qui ne sont pas nécessaires. Mais parfois, les enjeux sont tels que les relations se dégradent malgré tout. L’aventure entrepreneuriale est un navire en eaux agitées qui mettra à l’épreuve votre détermination et votre résilience, mais aussi votre amitié ! C’est pourquoi il est plus constructif de se serrer les coudes plutôt que de se tirer dans les pattes, afin que le bateau atteigne bon port !
Faire équipe pour monter sa boîte, c’est être plusieurs à décider et à prendre des décisions (ou du moins à les discuter, il peut être parfois plus sage de léguer le pouvoir décisionnel à une seule personne), mais c’est également multiplier le champ de compétences et la capacité de travail possible. Bien entendu, ces compétences ne doivent pas être une excuse pour travailler avec votre ami : entendez par là qu’il faut savoir juger s’il est plus rentable de travailler avec quelqu’un que l’on connaît bien, malgré ses lacunes sur certains domaines, ou bien si l’on préférera un expert en la matière bien que ce dernier ne soit pas forcément une connaissance, et il faudra alors dans ce cas-là plutôt se tourner vers la recherche d’un cofondateur spécifique qui collera au besoin technique nécessaire.
Dans le cadre de la création d’entreprise avec d’autres personnes, le pacte d’associés est également un bon moyen de définir un cadre et des règles concernant cette dernière, et permettre ainsi en amont d’éviter d’éventuels blocages qui pourraient advenir par la suite.
Dans le cadre de l’entrepreneuriat entre amis, il s’agit d’une convention très souvent sollicitée et qui permet d’anticiper tout litige pour poser des bases saines entre les différents associés.
Nous vous conseillons la lecture de notre guide sur le pacte d’associés pour comprendre les spécificités de ce dernier !
« L'avantage que l'on constate dans les entreprises fondées par des amis ou des personnes proches, c'est que souvent, la communication est plus fluide, et les informations sont traitées plus rapidement.
Mais l'inconvénient aussi avec cette approche, c'est qu'à force de travailler tout le temps avec ses amis, la frontière entre relation professionnelle, et relation personnelle, devient plus floue, et on peut avoir le sentiment d'avoir constamment la tête dans le boulot. »
Mais si jamais tout ne se passe pas bien ? Là aussi, ce genre de défi teste et met votre relation à l’épreuve. Vous pouvez soit constater que des difficultés mettent votre amitié sous pression, et que vous risquez l’implosion si les choses continuent, devant alors parfois faire un choix entre un ami et une entreprise : un choix qu’on aimerait mieux ne jamais être amené à faire.
Ou bien, c’est justement le moyen de constater que votre relation est un pilier fort sur lequel chacun d’entre vous peut s’appuyer dans les moments difficiles. Cela aura même pour effet positif de rendre votre relation encore plus solide : en traversant la tempête, on en ressort plus fort !
Pass Intérim, une histoire d'amis (et de famille)
Pass Intérim a ouvert officiellement sa plateforme en juin 2022. Cette dernière a été créée afin de faciliter les échanges entre demandeur et pourvoyeur d’emploi. Derrière ce projet, se trouvent Adrien MEYER et Maxime HOUVER.
Adrien et Maxime se sont rencontrés d’abord grâce à leurs épouses respectives, qui sont sœurs, et sont par la suite devenus amis au travers d’une passion commune qu’est le sport. C’est ensemble qu’ils ont décidé de créer Pass Intérim grâce à leurs compétences respectives en « insertion professionnelle » et en « communication graphique ». Avant cela, ils ne se connaissaient que depuis environ 1 an, mais leur approche du travail et leur philosophie de vie, qu’ils tiennent notamment du sport, et partagent tous les deux, les ont poussés à créer une solution qui selon eux manquait sur ce marché.
« Nous n'avions jamais travaillé ensemble, mais on se voyait surtout pour courir et on s'entendait plutôt bien. Quand on a commencé à monter Pass Intérim et qu'on a participé à la starter class de Quai Alpha, on est parti habiter tous les deux, ensemble, à Épinal pendant 3 mois loin de nos familles, afin de "tester" notre relation et de voir si ça marcherait !
On a eu des hauts et des bas, mais le challenge, on connaissait déjà ça dans le sport, et on partage cette même façon de penser les défis, alors quand c'est difficile, on se tire pas dans les pattes, et on s'accroche pour aller jusqu'au bout !
On est en phase, on a la même façon de penser et tout nous paraît logique dans notre approche du milieu professionnel.»
Active SAS, d'étudiants à associés
On a également demandé son avis à Antoine ARTILLAN, co-créateur d’Active SAS, une entreprise de développement qui a créé une application permettant de trouver des activités autour de vous, et permettant aux professionnels du loisir de s’y inscrire pour proposer leurs services.
Antoine est revenu sur la genèse de leur projet, et sur la décision qu’ils ont prise :
« Mes associés et moi, nous sommes rencontrés pendant nos études en école d'ingénieurs. On a sympathisé dès les premiers mois et on a formé un groupe d'amis très vite. Ainsi, lorsqu'en 2019 on a participé au hackathon de Quai Alpha et qu'on a vu le potentiel de l'idée qu'on y avait proposé, certains d'entre nous avons décidé de vraiment développer le concept et d'en faire une entreprise.
Des inconvénients il y en a assez peu à mon sens, dans notre cas ils viennent plus du fait que l'on s'est mis en colocation que du fait qu'on soit associés, car on a ajouté les tensions du quotidien aux tensions professionnelles. On n'a pas tous la même façon de vivre, le même rythme de vie etc et c'est plus ça qui apporte des tensions qu'autre chose finalement.
Et les avantages pour moi sont multiples, déjà on se connaît, on a passé plusieurs années en école ensemble, on a déjà fait des projets ensemble etc. et du coup on sait à peu près comment on travaille et, lorsqu'on a évoqué la création réelle du projet, on savait qui avait le sérieux, les compétences et les qualités nécessaires pour véritablement monter un projet de long terme et gérer les difficultés qui iront avec.
Aussi, bien qu'on ne soit jamais à l'abri de mauvaises surprises, de déception et tout ce qu'on peut imaginer, cela me semble beaucoup plus sûr et rassurant que de monter un projet avec d'autres types de personnes. On est capables de se dire les choses en face et on est beaucoup plus résilients aux tensions qui peuvent apparaître.»
Pour ce qui est du domaine de spécialisation, des compétences de chacun et de la répartition des rôles, il semblerait que le résultat final soit un peu différent de l’initial, mais que cela soit en évolution constante :
« Concernant la répartition des tâches elle s'est faite très naturellement en fait. On a chacun pris nos places actuelles sans trop de chaos. Cependant, il est amusant de voir que nos positions actuelles sont différentes de celles qu'on aurait pu imaginer à l'origine.
En effet, on vient de la même école, mais on a des spécialités différentes. D'un point de vue business, on imaginait gérer la boîte à deux avec Corentin, finalement je fais toute la gestion globalement tout seul, ça comprend la stratégie, les ambitions et le développement de la boîte, l'administratif, la relation client, la relation commerciale avec Quai Alpha, le management de l'équipe, le recrutement quand il y a besoin, la relation avec le comptable, etc. Mais du coup contrairement aux autres je fais finalement très peu de développement (ce qui me convient personnellement).
La conclusion, c'est qu'il faut laisser chacun aller dans le domaine qui l'attire le plus naturellement. Dans notre cas, on s'est naturellement orientés vers des postes très complémentaires et il n'y a donc pas vraiment de trou dans la raquette, mais si on avait été 3 développeurs purs, on aurait peut-être eu plus de difficultés à faire tout le reste, donc la complémentarité est vraiment une bonne chose, et on peut constater qu'on a sur le papier un profil hyper proche d'un point de vue des études, alors qu'on fait des choses qui n'ont finalement rien à voir entre elles.»
On a enfin demandé à Antoine s’il avait des conseils à donner auprès des personnes qui souhaiteraient se lancer avec leur(s) ami(s) dans cette aventure entrepreneuriale :
« Si je devais donner un conseil, ce serait juste de bien choisir avec quels amis on le fait, car de bons amis ne font pas forcément de bons associés et il faut vraiment s'assurer que la/les personne(s) que l'on choisit soient non seulement motivées, mais aient aussi l'esprit entrepreneurial, n'aient pas trop peur de prendre des risques, de devoir pas mal bosser et gérer plein de choses en même temps.
Dans notre cas notre colocation nous a permis d'avancer beaucoup plus vite sur notre projet que si on avait travaillé chacun chez soi en distanciel (surtout au début avec les confinements) et je pense que la boite n'aurait pas tenu un an. En contrepartie, ça a impacté nos relations amicales, mais cela est plus dû à la vie en commun qu'à l'aspect entrepreneurial du projet.»
La dernière chose que l’on constate enfin fréquemment, voire même en tout premier lieu, c’est que les amis souhaitant lancer leur propre entreprise ensemble, sont souvent pressés de le faire, ont leur idée bien en tête, et souhaite juste commencer cette aventure le plus rapidement possible. Un enthousiasme qui fait plaisir à voir, mais qui est bien souvent trop hâtif, car peut-être ces personnes n’auront-elles jamais véritablement travaillé ensemble, si bien que la moindre accroche ou le moindre désaccord pourrait mettre à mal leur plan.
Ce que l’on vous conseille, c’est d’avoir déjà travaillé ensemble auparavant, en amont de la création de l’entreprise, afin de vérifier si ça « match » professionnellement parlant, et ainsi continuer sereinement ce voyage.
